Sonnez trompettes, la Suisse va terminer l’année 2018 avec une croissance d’une force qu’on n’avait plus vue depuis longtemps. Avec, selon les estimations, une hausse du PIB comprise entre 2,7% et 2,9%, l’économie du pays va atteindre un pic. Comment allons-nous en redescendre ? La réponse à cette question est cruciale.
Car si l’on doit se réjouir de cette performance d’athlète, il faut en détailler les origines pour ne pas céder à l’euphorie. Plusieurs facteurs concordants expliquent cette année hors du commun. Commençons par le point le plus positif : 2018 a encore bénéficié en plein des efforts d’adaptation effectués par l’industrie d’exportation suisse dans les mois qui ont suivi le choc monétaire de janvier 2015. Les carnets de commande remplis, les capacités de production ont tourné à plein régime et l’exportation, ce moteur majeur de notre économie, a enregistré d’excellents résultats.
La période de relative dépréciation du franc suisse, qui aura duré près de dix-huit mois, a favorisé cet élan. L’effet a été d’autant plus bénéfique qu’il était inattendu, offrant un bonus d’investissement aux entrepreneurs. D’autres éléments conjoncturels ont poussé le PIB suisse à la hausse – comme la tenue de grandes manifestations sportives internationales (Jeux Olympiques, Coupe du Monde de football) via les produits de licence et de droits touchant des institutions qui ont leur siège chez nous. On oublie trop souvent cet impact positif, même dans un canton qui héberge une bonne cinquantaine de fédérations internationales, et le siège du CIO !
Même le commerce de détail aura connu une année positive, de justesse. C’est dire. Mais lorsque le ciel est bleu roi comme dans l’été indien que nous vivons, il faut songer au retour de la grisaille. Les économistes, certes, tablent encore sur une croissance « robuste » (à un peu moins de 2%, selon le consensus des divers instituts), mais quelques signaux doivent mobiliser notre attention. Le domaine de la construction va ralentir, c’est une certitude. Le solde migratoire faiblit, l’offre en matière de logement atteint un plateau, que ne compensera pas la demande en locaux commerciaux et industriels, ni en équipements d’infrastructure.
Il ne faudra pas non plus s’attendre à ce que la consommation privée soutienne la croissance au-delà d’un apport modeste. Trois raisons à cela. D’une part, dans une situation, réjouissante, de quasi plein emploi, on privilégie le long terme, ce qui modère la hausse de salaires déjà comparativement élevés. Deuxième facteur, la transformation numérique qui touche l’ensemble de l’activité économique induit des investissements dans ce domaine et une prudence sur les charges de personnel. Troisièmement, le renchérissement – modeste en termes absolus, mais bien réel en comparaison avec les taux d’intérêts – et une fiscalité individuelle qui ne baisse pas, ne libère pas de gain significatif en terme de pouvoir d’achat.
Il y a un quatrième facteur, qui combine psychologie et réalité concrète. Les derniers soubresauts boursiers l’ont montré, une inquiétude sourde court la planète, autour des conflits commerciaux entre grandes puissances. L’impact économique effectif est encore difficile à jauger, mais l’incertitude est un mal insidieux, autant sur le moral des entreprises que celui des ménages. Et son effet sur le franc suisse est bien connu…
Pour se préserver des aléas de la conjoncture mondiale, reposons-nous sur nos fondamentaux. La belle croissance de 2018, hors des effets temporaires, nous offre une belle leçon. Une fois de plus, les entreprises suisses ont démontré à long terme leur capacité de réaction et leur souplesse, dans un contexte législatif et normatif qui privilégie le pragmatisme, dans le domaine de l’emploi en particulier. Cette démonstration est à afficher bien visiblement dans tous les bureaux des intervenants, politiques et administratifs, qui traitent des conditions cadres de notre pays : la flexibilité est l’atout gagnant, le levier décisif qui permet notre vitalité économique. Prenons bien garde de la conserver, et de ne pas la grever d’initiatives malheureuses comme celle qui veut soi-disant préserver notre « auto-détermination » – en nous coupant de nos partenaires commerciaux. Mieux : travaillons intelligemment à adapter les contours de cette flexibilité aux réalités structurelles et conjoncturelles à venir.
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