Les sociétés internationales pèsent plus lourd dans l'économie locale dans les cantons de Vaud et Genève que dans le reste de la Suisse. Ces entreprises ont généré les deux tiers de la croissance au cours des 10 dernières années. Elles sont à la base de la quasi-totalité des dépenses privées en R&D.
«L'Arc lémanique distancie le Grand Zurich» En juillet, le journal dominical alémanique "Der Sonntag" n'y allait pas quatre chemins pour décrire le dynamisme sur lequel surfent les cantons de Vaud et Genève. Base du constat : entre 2000 et 2010, le produit intérieur brut (PIB), soit toute la création de valeur réalisée dans la région, a bondi de 25,3 % dans les deux cantons romands, contre une progression de «seulement» 15 % pour Zurich/Argovie.
En crise d'identité il y a encore une dizaine d'années, la région lémanique est indiscutablement devenue un puissant moteur de la place économique helvétique. Et l'une des recettes de son succès repose de manière tout aussi irrécusable sur la très forte croissance de ses entreprises multinationales. Ces groupes génèrent des retombées directes et indirectes sur l'ensemble de l'économie locale : dans la construction, la restaura-tion collective, l'hôtellerie, mais aussi dans les magasins, les garages ou encore les assurances. Tout le monde en profite.
Très concrètement, en 2010, les multinationales suisses et étrangères ont contribué à hauteur de 43 % au PIB genevois et de 41 % au PIB vaudois, selon une récente étude conjointe de la Chambre de commerce américano-suisse (AmCham) et du Boston consulting Group. Ces chiffres sont imposants, supérieurs à la part des entreprises étrangères dans l'ensemble du PIB suisse (36 %), mais l'essentiel n'est pourtant pas là. Entre 2000 et 2010, ces sociétés ont surtout été responsables de 67 % de la croissance à Genève et de 63 % dans le canton de Vaud.
Les multinationales ont boosté toute la région, dans laquelle elles ont été attirées par une main-d'œuvre hautement qualifiée et plurilingue, une fiscalité concurrentielle et une bonne qualité de vie. Dans les cantons de Genève et de Vaud, elles sont à l'origine des deux tiers de l'ensemble des nouveaux emplois recensés au cours de la première décennie du millénaire : + 24'000 à Genève (dont 21'000 dus aux sociétés étran-gères) et + 15'000 dans le canton de Vaud (dont 15'000 dus à des sociétés étrangères). On notera au pas-sage que la grande majorité des nouveaux postes générés l'ont été par des sociétés multinationales en plein développement, déjà implantées dans la région.
Une étude réalisée au début de l'année par l'institut Créa, sur mandat de la CVCI, de la Chambre vaudoise immobilière et de la Fédération patronale vaudoise, montre en effet que la promotion économique est pour sa part «responsable» de 15,6 % des nouveaux emplois créés dans le canton de Vaud par l'ensemble des entreprises nouvelles entre 2001 et 2009. On entre là dans le détail, mais il y a de quoi désamorcer le débat sur les prétendus effets pervers de la promotion économique. Cette dernière s'applique avant tout à diversi-fier le tissu économique et à le renouveler en se focalisant sur certains secteurs de pointe. Son rôle est essentiel.
Les problèmes de saturation des routes et des trains ainsi que la forte hausse des prix de l'immobilier pro-viennent quant à eux du dynamisme de l'ensemble de l'économie lémanique. Il faut maintenant accompa-gner cette croissance, ce qui signifie mettre les infrastructures routières et ferroviaires à niveau et construire de nouveaux logements. Lorsqu'une famille s'agrandit, il faut réorganiser le logement, l'agrandir, rationaliser. Il en va de même pour l'économie lémanique.
Il n'en reste pas moins que ces indispensables investissements ne suffiront pas à eux seuls à garantir le maintien des multinationales déjà installées, ni à assurer l'arrivée de nouvelles sociétés. La Suisse, et parti-culièrement Vaud et Genève, sont en effet contraints de revoir leur fiscalité sur les bénéfices des entre-prises. Car la concurrence internationale s'accroît, tout comme les pressions.
Résumé succinctement, l'enjeu est le suivant : les bénéfices des grandes sociétés internationales sont actuellement imposés selon des régimes dits «spéciaux». Les impôts qu'elles paient sur les profits tirés de leurs activités réalisées à l'étranger sont beaucoup plus bas que ceux dont elles s'acquittent pour leurs acti-vités suisses. Au final, elles paient un impôt sur le bénéfice deux fois moins élevés (11 %) que si elles étaient soumises au régime ordinaire (23,5 % en moyenne dans le canton de Vaud). Mais l'Union euro-péenne somme depuis plusieurs années la Suisse de changer ces pratiques qu'elle tient pour discrimina-toire. La Confédération étant désormais entrée en négociations, le temps des statuts spéciaux est désor-mais compté.
Soucieux de l'impact que pourrait avoir leur abandon pur et simple, Genève a mandaté le Créa pour faire une analyse détaillée. Résultat, un départ de l'ensemble des entreprises multinationales ferait disparaître 50'000 emplois au bout du lac. Les pertes fiscales totales du canton se monteraient à 1 milliard de francs, sur un total de 6 milliards. La diminution de valeur ajoutée découlant des impacts directs, indirects et induits se monterait à 9,6 milliards de francs, soit plus de 20 % du PIB cantonal. Une perspective suffisamment alarmante pour que Genève envisage un taux unique d'imposition à 13 %.
Et dans le canton de Vaud ? On sait que les sociétés au bénéfice de statuts spéciaux ont payé pour 100 millions de francs d'impôts en 2011. Mais la somme totale en jeu est beaucoup plus élevée, car il faut y ajouter les impôts des collaborateurs de ces entreprises, ainsi que ceux versés par les employés d'entre-prises sous-traitantes (effet indirect) et de sociétés clientes de ces fournisseurs (effets induits). Des milliers de postes de travail sont également en jeu.
Et l'enjeu ne se limite pas à l'emploi et aux rentrées fiscales ! Toute la force d'innovation de la région serait menacée en cas de départ des multinationales. Le rapport de l'AmCham et de Boston Consulting indique en effet que les sociétés internationales contribuent à 95 % des ressources financières consacrées à la re-cherche et au développement (R & D) dans le secteur privé, lequel représente à lui seul 75 % de toutes les dépenses de R & D en Suisse.
Et puis il convient d'aller au-delà des simples statistiques : la très forte présence des entreprises internatio-nales dans la région constitue également une richesse pour le monde culturel, sportif et associatif local, no-tamment par le biais du sponsoring et du mécénat. Le destin de la Suisse d'aujourd'hui, sa prospérité, et plus encore celle de l'Arc lémanique, sont inextricablement liés aux multinationales.
Philippe Gumy
(Pour LeJournal CVCI n° 34 - décembre 2012)
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