Les calendes grecques. Au-delà de tout cynisme, on peut se demander si tel n’est pas l’objectif calendaire de la Banque nationale suisse (BNS) pour un retour à des taux d’intérêts positifs. Depuis l’abandon du taux plancher avec l’euro, le 15 janvier 2015, la question n’a cessé de se poser. Et le caractère provisoire de cette mesure, qui vise à détourner les investisseurs financiers du franc suisse pour ne pas qu’il s’envole, s’efface à mesure que le temps passe. Désormais, on évoque 2021. Faut-il y croire ? Question subsidiaire, est-ce grave ? Et surtout, que peut-on faire ?
A questions simples, réponses complexes. Car si la Fed américaine adopte une position attentiste, Mario Draghi, le patron de la Banque centrale européenne, a indiqué au début du mois que de nouvelles mesures seraient nécessaires pour soutenir les économies des Etats-membres. Dans la foulée, les indicateurs ont confirmé les mauvaises perspectives du Vieux-Continent. Dernière en date à revoir ses prévisions de croissance 2019 à la baisse, l’Allemagne, qui a coupé de moitié son pronostic à 0,5%. Pas étonnant, après un dernier trimestre 2018 où la locomotive européenne a frôlé la récession. Italie, France, sans parler du Royaume-Uni empêtré dans son Brexit différé, les baromètres sont maussades, voire médiocres. La pression sur le franc – et sur l’économie exportatrice de la Suisse – va s’accentuer. Remonter les taux ? Ce n’est pas le moment.
Oui, mais pouvons-nous juste nous accommoder d’une situation qui est a priori un non-sens économique ? Les effets des taux négatifs ne sont pas neutres sur l’économie toute entière. Pour les caisses de pension, le maintien du rendement minimum devient problématique, s’ajoutant au défi démographique ; conséquence directe, l’investissement dans la pierre accentue le risque d’une bulle immobilière, malgré les conditions de durcissement mises en place par la BNS. A titre d’exemple, il y a aujourd’hui près d’un millier d’appartements vides à Martigny, une ville d’à peine plus de 20’000 habitants.
Les taux négatifs, qui affectent évidemment la marge des établissements financiers – ces derniers ne répercutant pas ces coûts sur leur clientèle de détail -, ont un double effet pervers sur l’épargne des particuliers. Ils engendrent son évaporation régulière, mais aussi une accentuation du réflexe d’épargne, ce qui prive la demande intérieure de dépenses. Du coup, les entreprises ne sont pas incitées à investir autant que la BNS ne le souhaiterait par ses mesures monétaires. Car la faible croissance promise alentours refroidit leur ardeur. La boucle est bouclée.
Alors ? Faut-il envisager, comme le fait la Banque centrale européenne, que les banques puissent bénéficier de taux différés sur leurs dépôts pour ne pas avoir à subir la facture des intérêts négatifs ? Faut-il repenser une politique monétaire agressive qui fixerait un contrôle des changes ? Mais on a vu à quel point un tel choix est difficile à tenir, d’autant plus qu’il ne ferait que gonfler encore un bilan de la BNS déjà surdimensionné en regard de l’économie suisse. Dans ce contexte, la triple mission confiée à nos banquiers centraux (assurer la stabilité du franc, lutter contre l’inflation et créer les conditions favorables à la création d’emplois) tient de la quadrature du cercle.
Le risque s’accroît de voir une économie européenne dopée aux antibiotiques (des politiques monétaires de plus en plus accommodantes) dont les effets s’amenuisent de jour en jour, et qui ne traitent pas la maladie par la racine. Au cœur du continent, liée par plus de deux tiers de ses relations commerciales, la Suisse peut-elle échapper à la contagion ?
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