Le départ de la société biotechnologique Merck Serono et, plus récemment, celui du siège européen de l'entreprise d'origine irlandaise Shire ont jeté un froid sur le pôle lémanique des sciences de la vie. Inutile se voiler la face : il s'agit là de revers importants pour l'Arc lémanique. Ces sociétés emblématiques laissent un vide que nous ne pouvons pas ignorer d'un haussement d'épaule.
Car la région, et le canton de Vaud en particulier, ont su créer en une dizaine d'années un véritable pôle de compétences en matière de sciences de la vie. Les passerelles foisonnent dans le transfert de technologies entre hautes écoles, hôpitaux universitaires, instituts de recherche et entreprises (voir article. Au niveau mondial, l'Arc lémanique figure parmi les pôles de compétence qui ont connu la plus puissante progression depuis le début des années 2000. Vaud a parcouru un chemin extraordinaire en une dizaine d'années.
Les sciences de la vie couvrent bien entendu les industries pharmaceutiques et biotechnologiques. Et le récent départ de Shire ne doit pas masquer le fort engagement de Novartis à Prangins, la présence du siège mondial d'un acteur comme Ferring à St-Prex ou le modèle très novateur et souple d'une société telle que Debiopharm, à Lausanne. Mais la dénomination "sciences de la vie" englobe également les fabricants de dispositifs médicaux et d'appareils de diagnostics. Dans l'industrie medtech, Vaud abrite des champions mondiaux comme Dentsply Maillefer, numéro un mondial de l'orthodontie, à Ballaigues, ou encore Medtronic, leader des stimulateurs cardiaques, à Tolochenaz. Une foule de start-up s'active dans le Quartier de l'innovation de l'EPFL, AC Immune, Biocartis, Abionic… Le cluster comprend également le monde hospitalier, emmené par le CHUV (et les HUG à Genève), bien sûr, mais où se sont aussi installées de nombreuses cliniques privées.
Vaud a su bâtir un pôle de renommée envié. Les départs de Merck Serono et de Shire doivent donc être relativisés. Mais pas ignorés non plus, comme je l'écrivais en introduction. Car le cluster des sciences de la vie est encore jeune, et donc fragile. Il doit être entouré des meilleures conditions-cadres possibles.
La grande inconnue vient de la fiscalité. La Suisse va abandonner les statuts spéciaux cantonaux, qui permettent aux sociétés actives essentiellement à l'étranger de payer moitié moins d'impôts que les entreprises actives uniquement sur le marché national. Qu'adviendra-t-il après cette réforme, dans le canton de Vaud ? Personne ne le sait encore, mais une chose est sûre : la suppression des régimes spéciaux sans mesures compensatoires impliquerait, pour ces entreprises, un doublement de l'ardoise fiscale.
Cette situation n'est pas saine. Elle n'est pas propice à la promotion économique, qui doit pourtant s'activer à renouveler constamment le tissu économique local. Elle est également problématique pour les filiales de grands groupes étrangers, qui pourraient choisir de s'installer dans un autre pays. Ou un autre canton, qui a déjà clarifié son avenir fiscal, comme Zoug ou Neuchâtel. Vaud a aujourd'hui toutes les cartes en mains pour rester dans la course, mais doit veiller à demeurer attractif et compétitif. Un abandon des statuts spéciaux au profit d'un impôt unique sur le bénéfice, accompagné de mesures du type "IP boxes", qui favorisent l'innovation, donnerait un coup de fouet à toute son économie. Pour le plus grand profit de tous.
Claudine Amstein
Directrice de la CVCI
(Pour LeJournal CVCI n° 45 - décembre 2013)
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