L'écrasante majorité des entreprises recensées en Suisse sont en mains familiales : plus de 270'000 sur un total de quelque 300'000. Ces sociétés créent environ la moitié de la richesse produite dans notre pays et procurent six emplois sur dix, selon les données de l'administration fédérale. A l'heure où la concurrence internationale s'intensifie avec la montée en puissance des marchés émergents, elles ont besoin d'appuis, de simplifications administratives et d'une fiscalité compétitive, mais surtout pas de nouvelles complications.
Déposée à la mi-février, l'initiative émanant de la gauche et des syndicats visant à introduire un impôt fédéral sur les donations et successions veut pourtant les pénaliser. De manière générale, ce texte prévoit que toutes les successions supérieures à 2 millions de francs soient imposées à hauteur de 20 %.
Les impôts levés seront répartis à hauteur de deux tiers pour l'AVS et d'un tiers pour les cantons.
Quels que soient les aménagements qui seront accordés spécifiquement aux PME (l'initiative laisse le législateur prévoir un cadre différent pour ces dernières), de nombreuses transmissions d'entreprises deviendront plus coûteuses, complexes et grevées de nouveaux impôts. Et contrairement à ce que laissent croire les initiants, cette nouvelle ponction fiscale n'est pas économiquement indolore. L'argent soustrait par l'Etat ne pourra en effet pas être investi par les sociétés. L'innovation, le recrutement de personnel supplémentaire, l'agrandissement de bâtiments ou la prospection de nouveaux marchés en feront donc inévitablement les frais d'une manière ou d'une autre. Au bout du compte, c'est l'emploi en général qui souffrira de cette nouvelle captation de fonds, dont l'utilisation serait bien plus utile et génératrice de prospérité si elle restait dans le circuit économique.
Des transmissions d'entreprises s'en trouveront sans aucun doute compromises et déboucheront sur une cessation d'activité. Dans d'autres cas, les sociétés en ressortiront affaiblies. Sachant que les transitions sont des moments par définition délicats, tant pour la direction que pour le personnel, l'initiative est particulièrement préjudiciable à notre tissu de PME. Des PME qui devront par ailleurs composer à l'avenir avec des conditions plus strictes pour se financer auprès des banques. Car les nouvelles règles imposées à ces dernières en matière de fonds propres les obligeront à être encore plus sélectives en matière de risques. Il est vrai qu'il s'agit là d'une autre question, mais elle montre bien que ce n'est vraiment pas le moment de charger la barque.
Sur le fond, l'initiative apporte par ailleurs une solution bancale à un problème réel, à savoir la nécessaire réforme de l'AVS. Notre assurance-vieillesse a besoin d'une refonte en profondeur, adaptée à l'allongement constant de l'espérance de vie de la population. Se contenter d'amener de nouvelles recettes financières sans mener de changements structurels ne ferait que repousser le problème de quelques années.
L'initiative est enfin particulièrement discutable sur l'effet rétroactif au 1er janvier 2012 qu'elle souhaite introduire pour l'imposition des donations. Il s'agit là d'une manière de procéder qui n'a pas sa place dans l'ordre juridique suisse, ou devrait en tout cas ne pas l'avoir, car il remet fondamentalement en cause la sécurité du droit.
La grande majorité des cantons a supprimé l'impôt sur les successions pour les descendants directs. Cette évolution est logique et saine, car chaque franc est déjà imposé plusieurs fois, au travers de l'impôt sur le revenu, la fortune et le bénéfice. Dans le cas d'une transmission d'entreprise, l'introduction d'un impôt au niveau fédéral reviendrait à fiscaliser une nouvelle fois de l'argent et des actifs sur lesquels le donateur ou la personne décédée a déjà payé tous ces impôts et sur lesquels les héritiers devront également s'acquitter à leur tour.
Il n'y a rien de "juste" à ajouter un impôt à l'impôt, en dépit de ce qu'affirment les initiants.
L'initiative ne sera soumise au vote du peuple que dans un à deux ans. Pour les milieux économiques, aucun contre-projet ne devrait lui être opposé, car ce nouvel impôt national n'est ni nécessaire, ni utile. Il serait au contraire dommageable aux entreprises.
Philippe Gumy
(Pour LeJournal CVCI n° 37 - mars 2013)
Fiscalité / Finance / Comptabilité
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