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Radiographie des coûts de la santé

    
Les progrès de la médecine, la modification des attentes et des besoins de la population ou encore le vieillissement de la population : voici les véritables causes de l'augmentation des coûts de la santé que les partisans de la caisse unique veulent oublier. Petit tour de la question avec Daniel Walch, Directeur général du Groupement Hospitalier de l’Ouest Lémanique (GHOL). L'actuel débat sur la caisse unique porte plutôt sur des questions idéologiques que sur la problématique de fond, à savoir les coûts de la santé. Cet aspect est régulièrement mis en avant par les initiants et mérite donc que nous nous y intéressions. Il est important de savoir de quoi ils sont composés et quels seraient les moyens d'en empêcher la hausse, ce qui permettrait de lutter contre l'augmentation des primes. Daniel Walch, Directeur général du GHOL, nous livre son analyse de la problématique.
Quelle part des coûts de la santé est consacrée aux frais administratifs ?
Daniel Walch : Les coûts de la santé se sont élevés en Suisse, en 2010, à 62,5 milliards de francs, dont un peu moins de 3 milliards ont été consacrés à l’administration du système de santé. Les frais administratifs représentent donc un peu moins de 5 % des coûts globaux du système. Dans une vision optimiste, si on diminuait les frais administratifs de 10 %, les coûts globaux du système de santé suisse diminueraient de l’ordre de 0,5 %.
De quoi sont composés les coûts de la santé ?
En 2010, les traitements hospitaliers aigus, de longue durée et de réadaptation y compris psychiatriques représentaient 45,4 % des coûts globaux, les traitements ambulatoires et médicaments associés s’élevaient à 42,2 %, les laboratoires médicaux, centres d’imagerie, appareils thérapeutiques et services de transport et de sauvetage totalisaient 5,3 % des coûts, les frais administratifs 5 % et les mesures de prévention un peu plus de 2 %.
Quel rôle jouent les assureurs dans la hausse des coûts ?
Les hausses des primes traduisent, bien entendu, les augmentations régulières des coûts de la santé, mais aussi le financement des réserves des assurés. C’est d’ailleurs un des arguments, sinon l’argument principal des défenseurs de la caisse publique d’assurance maladie qui, en supprimant les changements d’assureurs et la sélection des risques, éviterait les besoins de refinancement des réserves associées aux nouveaux assurés ayant changé de caisse maladie.
Quelles sont les causes et sur quoi faudrait-il agir pour réduire la hausse des coûts de la santé ?
C’est la question principale. Une revue de littérature, et donc des publications sérieuses sur le sujet, permet d’identifier les causes principales de la croissance des dépenses. Les progrès dans les technologies médicales sont sans aucun doute le facteur principal. Des innovations économisent des ressources mais l’effet global du progrès technique est cependant une augmentation des dépenses. Le deuxième facteur par ordre d’importance est la modification des attentes de la population. J’aime dire que les patients ne veulent plus attendre, ne veulent plus souffrir et ne veulent plus mourir…
Le troisième facteur est l’abaissement tendanciel à partir duquel on considère qu’une personne nécessite des soins. Cela s’observe typiquement en psychiatrie. Ces trois premiers facteurs principaux peuvent être regroupés en tant que changements dans la pratique médicale. Le quatrième facteur est le vieillissement. Le vieillissement contribue « seulement », selon les études, pour 10 à maximum 25 % à la hausse des coûts. La dernière année de vie coûte très cher, soit 6,9 % des dépenses de santé. C’est une composante fixe dans les coûts, non-associée à l’accroissement de l’espérance de vie. On pense souvent que le vieillissement est le facteur principal d’explication de la croissance de coûts. En réalité, les changements dans la pratique médicale exercent un impact sur les coûts 3,8 fois supérieur à celui du vieillissement. La masse salariale est une composante importante des coûts. Médecins, infirmiers sont peu remplaçables par des machines et les gains de productivité sont donc limités. La hausse constante des coûts du travail n’étant pas compensée par des gains de productivité, elle ne peut être financée que par une hausse des prix. Les facteurs principaux sont donc les changements dans la pratique médicale repris plus haut, le vieillissement et la masse salariale. 
Des phénomènes nouveaux devraient accroître encore plus les coûts : l’augmentation de l’obésité, de la sédentarité et du stress. On prédit aussi une plus grande vulnérabilité des retraités du futur à cause de l’augmentation des divorces, des personnes sans enfant et de l’éclatement géographique des familles. La question est donc hautement complexe et il n’y a pas de panacée. Parmi les solutions régulièrement citées : promouvoir les médecins de premier recours « gatekeepers », modifier le mode de rémunération des médecins, forfaitaire ou à l’acte ?, diminuer le nombre de lits hospitaliers, fournir les soins par des prestataires plutôt privés ou plutôt publics ?, réguler la densité médicale, aucune ne fait l’unanimité. Les revues de littérature suisse et internationale publient des résultats contradictoires. Pas de panacée donc. Sachant que le facteur principal de l’accroissement des coûts est lié au changement dans les pratiques médicales, la promotion de l’Evidence-Based Medicine (EBM) est à mon avis la piste à privilégier. Il s’agit donc d’enseigner et d’encourager une médecine fondée sur les faits, sur les données probantes, sur des preuves. L’EBM est l’utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures données disponibles pour la prise de décisions concernant les soins à prodiguer à chaque patient. L’EBM devrait aussi être utilisée comme justification systématique des programmes de rationalisation des ressources financières et matérielles. Il s’agit de répondre à la question : quelles prestations de santé se justifient ? L’on parle ici de HTA, soit de Health Technology Assessment. Je place personnellement beaucoup d’espoir dans le renforcement des structures indépendantes à but non lucratif destinées à évaluer l’efficacité des traitements.
Une caisse unique permettrait-elle d’empêcher la hausse des coûts de la santé ?
On a vu plus haut que, dans une vision optimiste, une diminution de l’ordre de 10 % des frais administratifs globaux en Suisse se traduirait, au maximum, par une diminution des coûts globaux de 0,5 %. La caisse unique n’est donc pas une solution principale en regard de la hausse des coûts de la santé. Je privilégie donc, personnellement, la création d’une structure indépendante, forte, à but non-lucratif, destinée à évaluer l’efficacité des équipements biomédicaux et des traitements.
Quel est le meilleur système de santé au monde ?
Une équipe de l’Université de Harvard, sous la direction de la Professeure Regina Herzlinger, a mené cette étude en 2006 et a classé le système suisse actuel en première position mondiale. Le système suisse offre une couverture universelle, la liberté du choix de son médecin par le patient, la liberté du choix de son hôpital, de son assureur, mais l’Etat y régule les prix. La part des dépenses de santé par rapport au PIB s’élevait, en 2011, à 11 % en Suisse. Aux USA par exemple, on observe moins de liberté pour le patient. Le système d’assurance est principalement organisé via les employeurs ou l’Etat. On y connaît par contre une plus grande liberté des tarifs et la hausse des prix explique une partie importante de l’augmentation des coûts. La part des dépenses de santé par rapport au PIB s’y élevait, en 2011, à 17,7 %. La France, avec son système de sécurité sociale consacrait, elle, la même année 11,6 % du PIB aux dépenses de santé.
Propos recueillis par Robin Eymann
(Pour LeJournal CVCI n° 52 - août 2014)