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"Cette initiative revient à puiser dans la poche des gens qui prennent des risques"

    
Un impôt fédéral sur les successions et donations à hauteur de 20 % ? Le 14 juin prochain, les Suisses sont appelés à voter sur une initiative qui bouleverserait et compromettrait la transition de très nombreuses PME.

En visant les successions, l'initiative populaire fédérale «Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS (Réforme de la fiscalité successorale)»  contribue à alourdir la charge fiscale des entreprises, principalement des PME familiales. Les repreneurs de petites et moyennes entreprises devraient tenir compte de cette pression supplémentaire en améliorant encore leur rentabilité, dans l'optique de pouvoir payer l'impôt. La possible transformation d'une certaine qualité de vie professionnelle interpelle nombre d'entrepreneurs. François Jobin, chef de la société familiale Jobin SA, évoque les principales menaces que fait planer cette initiative sur son entreprise.
Comment est organisée votre entreprise ? Qui la dirige et qui pourrait la reprendre ?
François Jobin : Nous sommes une SA de 18 personnes, basée à Lausanne. Nous nous occupons des parcs informatiques de petites entreprises de notre taille, telles que des bureaux d'architectes, ingénieurs, fiduciaires, entreprises de service, dans toute la Suisse romande. Il y a une direction bicéphale. Je m'occupe de la stratégie «logiciel». Mon associé, Alain Paz, de la stratégie «hardware». Nous partageons les tâches administratives et la gestion des ressources humaines. Pour ce qui est de la reprendre, mon associé et moi sommes encore jeunes (50 ans), mais nous y pensons, bien entendu. Et nos statuts règlent la distribution des actions en cas de décès ou d'incapacité de travail de l'un de nous deux. 
Depuis combien de temps existe votre société ? Est-ce que plusieurs générations se sont déjà succédé à sa tête ?
Mon père avait repris cette société de son oncle en 1973. Alain Paz et moi-même nous sommes associés en 1994. Mon père a quitté l'entreprise en 2005.
Pendant que votre père dirigeait la société, vous étiez déjà collaborateur ?
Oui, j'ai toujours travaillé chez Jobin SA. On peut dire que je suis le plus fidèle collaborateur de Jobin SA car le 28 décembre j'aurai 47 ans d'ancienneté!
Comment s'est passé la transmission ?
Très naturellement. Mon père avait dans l'idée de partir, il se sentait prêt à remettre et mon associé et moi-même nous sentions prêts à reprendre. 
Comment avez-vous réagi lorsque vous avez entendu parler de cette initiative ? Avez-vous été inquiet ?
Inquiet et fâché. J'ai un peu le sentiment qu'on fait la chasse aux sorcières, cela me donne l'impression qu'on veut taxer les personnes qui prennent des risques. J'ai aussi le sentiment que les initiants n'ont jamais vécu la remise/reprise d'une entreprise et ne se rendent pas compte de ce que c'est que de diriger une société. C'est un peu facile de vouloir taxer les entrepreneurs en prétendant renflouer notre AVS. Ce n'est pas la solution ! Je pose la question suivante aux initiants : ne vaudrait-il pas mieux faciliter l'accès des femmes à une carrière professionnelle, pour pérenniser l'AVS ? Instaurer l'horaire continu à l'école, construire des cantines, des crèches, simplifier les normes imposées aux mamans de jour?
Que pensez-vous des allègements promis par les initiants dans le cas d'une succession de société ?
Concrètement, je ne vois pas du tout ce que sont ces allégements. Personne ne semble voir en quoi ils vont consister, ni quel sera le taux auquel seront taxés ceux qui en bénéficieront. De plus, la condition pour ce coup de pouce est que la personne continue ses activités pendant dix ans. Pour moi, cela s'apparente à des travaux forcés, ce n'est pas une reprise d'entreprise. Le monde change tellement vite… dix ans c'est très long. Encore une fois, ça montre une méconnaissance du fonctionnement des petites entreprises. 
On parle des petites entreprises, mais l'initiative ne concerne que des successions de plus de deux millions de francs…
On y est très vite, à deux millions. Je dirais même qu'à titre privé, si vous cumulez la valeur d'une résidence principale et celle des avoirs en prévoyance, vous êtes vite à ces fameux 2 millions. Sans compter que vous pouvez être propriétaire d'une résidence secondaire. A titre professionnel, même une petite entreprise comme la mienne sera impactée par cette loi: Jobin SA, c'est 800m2 de bureaux situés à Lausanne ainsi que des places de parc. Et je ne parle pas du goodwill"
C'est-à-dire ?
Je parle de la valeur des abonnements de maintenance hardware et software que Jobin SA a contractés avec plusieurs centaines de clients. En outre, de la valeur, plus volatile certes, du carnet d'adresses de Jobin SA
Pour transmettre votre entreprise, pensez-vous « mettre de côté » peu à peu le montant de l’impôt, pour éviter que cette taxe ne menace le repreneur familial ?
C'est une question à laquelle il est difficile de répondre, car on n'arrive pas à se rendre compte du chiffre que cela représente. 
Pour Jobin SA, il n'y a pas 1001 manières de faire du bénéfice. Nous revendons le matériel et les logiciels presqu'à prix coûtant. C'est donc avant tout le travail des collaboratrices et collaborateurs (formations, installation, dépannage) qui nous permet de réaliser de la plus-value. Pour augmenter les bénéfices, il faut travailler plus, diminuer les salaires… La qualité de nos prestations risquerait d'en souffrir.
La transmission d'entreprise pose-t-elle déjà des problèmes en soi ?
Il faut déjà que le propriétaire ait envie de vendre, qu'il s'y soit préparé. En outre, qu'il soit réaliste et raisonnable avec le prix de vente et les conditions. Enfin, il faut trouver des repreneurs qui ont les compétences et surtout, le financement.
Les héritiers ne risquent-ils pas plutôt de choisir de vendre, pour s’éviter les soucis liés à l’impôt ? Ceci au détriment des emplois ?
Je pense qu'une entreprise familiale est plus humaine car, en général, elle est de petite taille. Les employés sont moins sous pression, plus au contact avec le patron. Je ne dirais pas que l'initiative fera perdre des emplois. Elle fera perdre une certaine qualité de vie professionnelle.
Propos recueillis par Arditë Shabani
(Pour LeJournal CVCI n° 60 - avril 2015)