La conclusion de l'accord de libre-échange (ALE) entre la Suisse et la Chine a suscité un large enthousiasme ces dernières semaines. Une fois ratifié, ce traité s'ajoutera à la liste de 27 ALE qui lient déjà notre pays à des partenaires commerciaux, couvrant 14 à 15 % des exportations helvétiques. Contrairement à ce que l'on pourrait supposer, la plupart de ces accords ne déploient toutefois pas tous leurs effets, montre une récente étude de l'Université de Zurich réalisée sur mandat de Switzerland Global Enterprise, l'ex-Osec. La suppression des droits de douanes n'est en effet pas automatique suite à la signature d'un ALE et il incombe aux entreprises de faire valoir leurs droits. Au final, on constate que la situation varie en fonction des pays : l'ALE avec le Canada est par exemple bien mieux exploité par les sociétés suisses que l'accord passé avec le Mexique ou la Corée du Sud.
Des chiffres ? L'étude montre qu'en matière d'exportations avec le Canada, les entreprises suisses ont pu économiser 19,3 millions de dollars canadiens (17,9 millions de francs) de droits de douanes en 2011 sur un volume de ventes couvert par l'ALE de 361 millions de dollars canadiens. Si toutes les sociétés avaient fait valoir la totalité de leurs droits, 8,1 millions de dollars canadiens supplémentaires auraient pu être épargnés. Au final, le score n'est toutefois pas si mauvais, car le degré d'économies réalisé se monte tout de même à 70,4 %.
L'ALE avec le Mexique fait moins bonne figure. Sur un total de 773,9 millions de dollars américains (738 millions de francs) d'exportations helvétiques couvertes par ce traité, toujours en 2011, les économies se sont montées à 21,4 millions de dollars, ce qui correspond à un taux d'utilisation de l'accord de 52 %. Mais 20 millions ont été payés «en trop». Avec la Corée du Sud, le degré d'économie atteint 60 %.
L'étude présentée par Switzerland-GE se focalisait sur ces trois pays et l'on voit que plusieurs dizaines de millions de francs ont été dépensés inutilement. Extrapolée à tous les accords, la somme totale doit sans doute facilement dépasser les 100 millions de francs, même s'il est difficile d'être catégorique en raison de l'extrême diversité des dispositions de tous les ALE qui encadrent le commerce extérieur helvétique.
Décryptage des raisons de la sous-exploitation des ALE avec Serge Sahli, responsable du service export à la CVCI :
Les accords de libre-échange sont souvent présentés comme la suppression immédiate des entraves au commerce entre les pays qui les signent. Cette étude montre que ce n'est pas le cas. Comment expliquez-vous ce mauvais résultat ?
Contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime abord, les traités de libre-échange sont extrêmement complexes. L'établissement du certificat d'origine, préalable indispensable à l'obtention de l'exonération des droits de douane dans le cadre des ALE, est soumis à des règles différentes pour chaque produit. Pour corser l'opération, chaque accord est régi par des règles différentes. Une même lampe fabriquée en Suisse peut par exemple éviter les droits de douanes dans un pays avec lequel la Suisse a passé un ALE, mais pas dans tel autre. Résultat, certaines entreprises préfèrent ne pas profiter des ALE, par peur que le certificat d'origine soit établi à tort. D'autres ne parviennent pas à prouver l'origine suisse de leur produit, parce qu'ils ne disposent pas des justificatifs nécessaires.
Quels sont les risques en cas d'erreur dans le certificat ?
En Suisse, une entreprise dont les Douanes constatent une irrégularité est sommée de s'expliquer. Si elle est incapable d'apporter la preuve que son produit répond aux critères de provenance suisse, ou si elle fournit des justificatifs erronés, elle s'expose à des poursuites pénales. La Direction des douanes lui facturera des frais en fonction du temps consacré pour le contrôle. Elle peut également retirer à l'exportateur son statut lui permettant de recourir à une procédure simplifiée. A l'étranger, la société court le risque d'avoir des conflits avec ses clients. Mais elle s'expose surtout à des contrôles plus fréquents et plus approfondis à l'avenir, ce qui allongera les délais de livraison. Et puis son image sera ternie auprès de sa clientèle, qui doit s'acquitter de droits de douanes alors que cela n'était pas prévu.
Que signifie exactement ce retrait de la procédure simplifiée ?
Toutes les entreprises qui peuvent se prévaloir d'un certain volume de livraisons vers un pays peuvent demander aux Douanes le statut d'exportateur agréé (EA), ce qu'elles font systématiquement. Ce statut leur permet d'éviter les démarches administratives auxquelles sont soumis les petits exportateurs et auxquelles elles sont elles-mêmes soumises pour leurs ventes à destination des pays non couverts par un ALE. Un retrait de l'EA les oblige à fournir à nouveau un certificat d'origine (appelé EUR1) pour chaque livraison, comme les petits exportateurs. Il s'agit d'un énorme travail administratif si les volumes sont grands.
Les petites entreprises qui exportent peu ne peuvent donc pas échapper à l'EUR1…
Non, à moins que le montant de leur livraison soit inférieur à 10'300 francs ou 6'000 euros. Dès ce seuil franchi, elles doivent remplir ce formulaire si elles veulent bénéficier de l'ALE. Cela sous-entend alors qu'elles sont en mesure de fournir la preuve que leur marchandise répond aux critères permettant d'obtenir le certificat d'origine. Elles doivent donc vérifier les dispositions qui régissent leur produit – tous les produits sont listés par des numéros de tarif à quatre chiffres - puis consulter la liste de l'accord. Attention, il peut y avoir des dispositions particulières. Tel ou tel ALE prévoit par exemple qu'un composant utilisé dans le produit fini ne pourra pas bénéficier d'une exemption de droits de douanes, quelle que soit la valeur ajoutée apportée en Suisse. En remplissant un formulaire EUR1, les entreprises prennent le risque d'être contrôlées. Dans le doute et par crainte d'être prises en faute, elles préfèrent trop souvent s'abstenir et paient la totalité des droits de douanes.
Quel conseil donneriez-vous ?
Tout d'abord, accorder un soin tout particulier à la formation du personnel responsable de l'export. Dans les grandes entreprises, faute d'une transition bien organisée, le départ de collaborateurs expérimentés induit parfois des erreurs qui se perpétuent pendant des années. Cela signifie concrètement, par exemple, que des sociétés font payer à leurs clients des droits de douanes dont ils n'auraient pas besoin de s'acquitter. Il y a en outre un certain manque de communication à l'interne, dans les sociétés. Cela peut conduire à des situations potentiellement dangereuses. Un produit dont les composants viennent de différents pays étrangers peut ainsi rapidement ne plus répondre aux critères pour le certificat d'origine si l'on change de fournisseur pour l'un ou l'autre des composants. Exemple : un fournisseur de bois allemand ne pose pas de problème pour exporter une table suisse dans l'Union européenne, car nous sommes partenaires liés par un ALE entre l'AELE et l'UE. Mais se tourner vers un fournisseur américain peut faire passer la table sous le seuil de valeur fatidique - prix départ-usine - lui donnant droit au certificat d'origine. Une meilleure gestion de leur service export permettrait à de nombreuses sociétés d'être plus compétitives en termes de prix. Elle leur éviterait également de commettre des erreurs qui peuvent être lourdes de conséquences en termes de réputation et d'amendes.
Et les importations ?
Le problème est le même. Pour éviter de payer des droits de douanes sur les marchandises que l'on achète dans des pays avec lesquels la Suisse a conclu un ALE, un certificat d'origine du fournisseur est nécessaire. Certaines entreprises omettent de le demander ou ne savent tout simplement pas qu'elles devraient le réclamer. Encore une fois, c'est à elles de faire la démarche, les Douanes ne leur signaleront pas qu'elles auraient droit à une exemption. Tout évolue sans cesse dans le libre-échange, il importe de se tenir constamment au courant des changements.
Propos recueilli par Philippe Gumy
pour LeJournal CVCI n° 40 - Juin-juillet 2013